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mardi 7 juin 2016

Le tissage Ikat

La semaine dernière, je suis allée voir l'exposition "Textile Tales of Pua Kumbu - The Sacred Journey", qui se tient durant un mois dans la galerie d'art de l'Université de Malaya (là où les garçons jouent au rugby tous les dimanches).


Nous n'étions que 2 à profiter de la visite guidée par Dr Welyne Jeffrey Jehom, maître de conférence en anthropologie dans cette université. Cette jeune femme née à Sarawak et épouse d'un Français consacre ses travaux de recherche au développement et à la mise en valeur du travail de tissage effectué par une communauté du peuple Iban. C'est elle qui pour la 2ème année consécutive met sur pied cette exposition.

Quelques éclaircissements :

Qui est le peuple Iban ?

Les Ibans sont une ethnie de l'île de Bornéo, aujourd'hui concentrée dans l'Etat du Sarawak. Leur population est estimée à 600 000 personnes. Les Ibans sont réputés pour leurs tissages traditionnels, l'Ikat.

Qu'est-ce que l'Ikat ?

L’Ikat (de l'indonésien ikat, « attacher, nouer ») est un procédé de teinture et de tissage dans lequel le dessin est créé en teignant d'abord le fil de trame, ou le fil de chaîne, de toutes les couleurs qui vont y figurer, à des intervalles très précis, de sorte qu'au moment du tissage les éléments du dessin se créent par la juxtaposition des parties du fil de la couleur appropriée (par exemple, cinq ou six points jaunes de deux millimètres, à un mètre de distance l'un de l'autre sur la longueur du fil, viennent l'un au-dessus de l'autre au moment du tissage pour former l'œil d'un oiseau, et ainsi de suite pour chaque élément du dessin). En teignant le fil, les parties qu'on veut préserver d'une certaine couleur de teinture sont cachées par un fil qu'on noue sur le fil de la trame. On plonge ensuite le fil dans la teinture. On recommence pour les autres teintes. Par extension, le mot désigne également le tissu qui en résulte. La technique de l'Ikat est utilisée en Indonésie, mais aussi en Amérique Centrale et du Sud.

Et le "Pua Kumbu" en particulier ?

Le Pua Kumbu est un tissu de coton multicolore cérémoniel, à motifs traditionnels, utilisé par les Ibans. "Pua" signifie "couverture" et "kumbu" signifie "recouvrir". Porté lors des rituels, il sert à la fois de protection, de décoration, de séparation. Sa taille standard est 2,40 x 1,20 m.

Les tisseurs Ibans n'utilisent que des ingrédients naturels pour teindre leurs fils : telle feuille pour obtenir un bleu-gris, telle autre pour un rouge brique, un bois particulier pour le jaune. Il est difficile de savoir comment s'est transmise cette technique au fil des années, car les Ibans n'ont que des traditions orales.

Les motifs tissés ont une signification bien précise, qui s'explique via la dimension sacrée des croyances de ce peuple.
En effet,  chaque communauté Iban, regroupée dans une "long house" où vit une vingtaine de familles, possède sa "weaver's mastress", c'est-à-dire une femme responsable du travail des tisseurs. Cette femme est choisie en fonction de ses "pouvoirs" à communiquer avec les dieux. Les dieux lui parlent dans ses rêves, et au matin elle sait exactement ce qu'elle doit tisser de façon stylisée : un crocodile, un singe, un chasseur, chacun illustrant une histoire racontée par les dieux dans son sommeil.

 




Légendes sur les origines du tissage Iban :

Il y a beaucoup de légendes sur l'origine de Pua Kumbu. La plus connue concerne Menggin, un chasseur Iban qui tira sur un bel oiseau avec sa sarbacane. En courant pour récupérer son trophée, il trouva une jupe tissée au lieu d'un oiseau. Il garda cette jupe tissée car il n'en avait jamais vu auparavant. Cependant, il ne savait pas qu'elle appartenait à Dara, fille aînée d'un dieu. Dara chercha sa jupe partout. Quand elle trouva Menggin, ce dernier lui rendit sa jupe. En retour, Dara épousa Menggin, même si elle était déjà mariée. Elle l'amena à son domicile, l'autre monde, la terre des Dieux. Ils eurent un fils, Sera. Au bout d'un an, le premier mari de Dara revint à la maison. Dara demanda à Menggin et Sera de retourner dans le monde Iban et de porter pour leur voyage une veste et la jupe qu'elle avait tissée. A partir de ce jour-là, la veste et la jupe ont été transmises à de nombreuses femmes de la tribu Iban afin qu'elles puissent tisser les mêmes motifs et ainsi rester proche des dieux. 


Les + de l'expo :

Welyne a mis au point une application de reconnaissance de l'image téléchargeable gratuitement sur votre téléphone. Ainsi, vous pouvez obtenir des informations sur chaque pièce de tissu simplement en approchant votre téléphone (nom du tissage, du tisseur, date de réalisation). Certains Ikats ont plus de 200 ans ! 
Pour certaines pièces, l'application permet d'extraire un à un les motifs, et de les transformer en l'illustration réaliste de ce qu'ils sont censés représenter ; le motif est ainsi mis en exergue, sa forme devenant plus parlante aux yeux du visiteur. 

Différents motifs ...


Et des exemples d'illustrations réalistes du motif représenté



Enfin, Welyne essaie de développer une gamme de produits dérivés (sacs, chaussures, trousses, cravates ...) afin de faire connaître cette technique de tissage, de vendre à des prix "raisonnables" les productions de manière à garantir une vie décente à cette communauté. On peut même commander sa pièce de tissu aux dimensions, couleurs et motifs désirés !  
Certains bénévoles peuvent aussi se rendre sur place pour aider ces familles à organiser leur production. Pour s'y rendre, compter 6 heures de pirogue depuis Kuching, la capitale de l'état de Sarawak !

Exemples de produits dérivés


Les différents ingrédients permettant une teinture naturelle

Bref, j'ai appris beaucoup de choses en visitant cette très belle exposition ! 

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